Cette reportage a été réalisée il ya 6 ans en 1998. Mon plan initial était de publier une série de commentaires sur “La Platine” “MM/MC Phono” famille de “Triode Spirit” et de publier cette interview avec mes commentaires. Mais à cause de certains problèmes et spécialement intemporalité je n’ai jamais réaliser ce projet! Après la disparition intemporel de Jean Constant Verdier, je décide de publier cette interview. Texte original traduit par Bruno Manusso.
Repose en paix!
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Monsieur Verdier, tout d’abord permettez moi de vous remercier pour le temps que vous accordez à notre entrevue. Personnellement ce reportage a une grande importance.
Le seul reportage détaillé que J’ai pu trouver sur l’internet est celui que vous avez accordé a Auditorium 23 et paru dans le magazine Allemand Das Ohr il ya déjà pas mal d’années… Nous remarquons que presque toutes les sociétés qui fabriquent des produits dits Hi-Fi entretiennent des liens plutôt étroits avec la presse spécialisée qu’ils utilisent comme un élément de marketing pour leur produits. Nous remarquons que vous semblez adopter une politique totalement opposée. Il n’y a pas de bancs d’essais (récents) de vos produits ni mécanique ni électronique. Pourrions nous vous en demander la raison et profiter de cela pour vous demander comment vous considérez le marché de la Hi-Fi en général?
Il y pourtant pas mal de littérature sur mes fabrications, en particulier sur les platines. Ce qui est vrai c’est qu’une toute petite partie seulement est en Français. Vous trouverez de nombreux bancs d’essais dans des magazines allemands, anglais, américains….mais aussi russes, polonais ou chinois. Depuis de nombreuses années, le marché français de la Hifi se porte très mal. Il y a certes plusieurs revues françaises qui se vendent assez bien mais très peu de clients pour s’offrir les appareils parfois sublimes qui sont présentés dans ces revues. Les distributeurs en France de marques étrangères n’ont pas d’autre choix que d’entretenir des liens étroits avec la presse française car la France est leur unique marché. En tant que fabricant je préfère (puisque j’ai le choix) dépenser mon énergie sur d’autres marchés plus porteurs, quite à etre ignoré des médias français. 95% de mon chiffre d’affaire est réalisé à l’exportation.
Je comprends que vous portez un intérêt spécial pour les platines tourne disque et l’analogue en particulier. Comment ceci a t’il débuté? La Platine Verdier est une légende vivante, très appréciée par beaucoup de mélomanes, mais avant cela vous avez conçu des platines tourne disques sous la marque ERA (Etudes et Recherches Acoustiques) Nous rencontrons souvent et encore toujours des utilisateurs de platines ERA et particulièrement du modèle MK 6. Pourriez vous nous donner quelques informations concernant cette époque de vos travaux? Toujours dans les temps ERA, nous rencontrons un bras de lecture appelé «Virtuel Pivot» qui semble très innovateur pour ces années. Nous n’avons pu trouver aucun document/information concernant le bras en question. Pourriez-vous nous en raconter l’histoire?
C’est une longue histoire…Après des études d’électronique, j’ai réellement commençé ma carrière professionnelle au début des années 60 comme technicien au sein de la tout jeune société ERA (Etudes et Recherches Accoustiques). ERA n’était pas un repère de “fous de la haute fidèlité” comme on peut l’imaginer aujourd’hui. C’était, plus prosaiquement, l’association de 5 apprentis businessemen tout frais sortis des grandes écoles de commerce qui avaient assez bien saisi les opportunités alors offertes par le tout nouveau marché de la HiFi. J’ai été leur premier employé, simplement recruté par petite annonce. La société a connu une croissance rapide et je me suis tout aussi rapidement retrouvé directeur technique d’une équipe de 30 personnes. C’est moi qui leur ai suggéré de s’investir dans la fabrication de platines, ceci en 1963, et bien entendu, c’est moi aussi qui ai conçu et assuré la mise en production des produits. A la fin des années 60, ERA produisait environ 5000 platines par mois, c’était de loin le plus important constructeur français. Cette aventure s’est poursuivie pour moi jusqu’en 1972, année où j’ai fondé mon entreprise. ERA a survécu encore quelques années mais c’est une autre histoire… .
Le bras à “pivot fictif” des platines ERA a marqué les esprits au point qu’on en parle encore aujourd’hui. Cependant, l’idée ne vient pas de moi. Lors d’un salon de Hifi au milieu des années 60, nous avons rencontré un dénommé Dufour, ingénieur au sein de la société Mors, un grand fabricant d’installations électriques pour chemin de fer. Mors fabriquait alors des relais électromagnétiques dont la particularité était une articulation par lames de ressorts croisés. Ce dispositif garantissait le parfait fonctionnement des relais dans des conditions difficiles, même quand ils étaient couverts de glace. Mr Dufour nous a proposé de transposer ce système à un pivot de bras…avec le succès que l’on sait.
Votre Platine est l’une des mécaniques les plus innovatrices de l’histoire de l’analogue. Qu’est-ce qui vous a poussé à développer l’air bearing? Comment êtes-vous arrivé à utiliser et maitriser la répulsion des forces magnétiques?
La répulsion magnétique est l’un des trois systèmes que j’utilise dans mes platines, chronologiquement le premier. L’idée commune à ces trois systèmes, sur lesquels je reviendrai plus loin, est de supprimer toute butée mécanique génératrice de bruit au sommet de l’axe des platines.
Plusieurs années avant personne ou presque n’employait de bras multiples sur leur platines et pourtant vous avez préparé le terrain pour augmenter le nombre de bras. Qu’est-ce qui vous a incité à réaliser le besoin futur de bras multiples?
L’idée d’augmenter le nombre de bras est venue d’un besoin personnel, celui de pouvoir lire également avec ma platine mes vieux disques 78 tours qui devaient se contenter auparavant de l’aiguille destructrice d’un phonographe. De nombreux utilisateurs de platines Verdier, qui sont avant tout des mélomanes en recherche permanente des enregistrements rares, aprécient cette possibilité qui leur est donnée de pouvoir jouir de ces enregistrements dans les meilleures conditions possibles. Même s’ il ne s’agit pas de la fonction initiale, multiplier les bras offre également à l’utilisateur la possibilité de réaliser des écoutes comparatives en temps réel de bras et de cellules.
Depuis les années 80 fous avez apporté certaines modifications à votre Platine. Dans les premières versions le moteur était disposé de manière différente, avec support en granite. Ensuite en place du granite vous avez utilisé d’autres matériaux. Voudriez-vous nous tracer chronologiquement l’évolution de votre Platine?
Entre 1980 (année où j’ai produit mes 1ères platines) et aujourd’hui, les modifications apportées à ce produit ont été très peu nombreuses. Le socle en granit reconstitué des premières séries a été remplacé par un socle en médium laqué vers 1988 car il posait de très sérieux problèmes au niveau du suivi de la qualité de fabrication, incompatibles avec une démarche d’industrialisation. Certains défauts qui étaient acceptables aux yeux des premiers clients, conscients d’acheter un appareil très exclusif et artisanal, ne pouvaient plus se concevoir dans le cadre d’un marché internationalisé. Afin de satisfaire les amoureux de la platine dans sa première version j’ai cependant conservé pendant de nombreuses années dans mon catalogue une version dite “vintage” avec socle en Granit disponible sur commande spéciale. Il va de soi que le socle laqué n’affecte en rien les qualités de l’appareil. Pour ce qui est des moteurs, on trouve encore sur internet des photos de la toute première série de 10 platines sur laquelle ils étaient noyés dans une coque en fonte. Le moteur a adopté sa disposition définitive dès la seconde série.
Sur votre cite vous avez votre page «To my pirates» ou vous «aidez» ceux qui ont toujours essayé de vous copier au lieu d’essayer d’innover comme vous l’avez fait. Si nous pouvons nous permettre, qui s ont ces corsaires? Il nous semble aussi que vous vous riez un peu de leurs entreprises ne les prenant pas trop au sérieux, est-ce correct?
J’ai en effet vu passer depuis 25 ans de nombreux pirates. Certains se sont contentés de réaliser une platine “à la Verdier” pour leurs besoins personnels et je ne condamne en rien leur démarche (sauf peut-être quand ils tentent de la vendre en la faisant passer pour une vraie Verdier, comme je l’ai vu sur Ebay). D’autres en revanche ont eu dans le passé des démarches réellement agressives, copiant l’essentiel et rajoutant quelques éléments secondaires sans incidence sur les performances (voire contreproductifs), pour ensuite présenter dans la presse spécialisée un produit ouvertement destiné à “faire mieux” que la Verdier. A ma connaissance aucun de ces pirates n’a fait fortune. Ces dernières années, j’ai vu apparaitre sur le marché en certain nombre de platines qui reprennent à leur compte le principe de la repulsion magnétique. Aucun de ces constructeurs ne se réclame de Verdier et ces appareils ne sont pas à proprement parler des copies (je ne citerai pas de nom). C’est quelque part gratifiant de constater qu’une idée dont on est l’initiateur fait école.
Au fil des étapes vous avez conçu la Platine Magnum en ajoutant des systèmes hydrauliques à votre Platine. Comment est née cette création? Et qu’est-ce qui vous a poussé à aller aussi loin dans les travaux de restitution sonore de l’analogue?
Un célèbre constructeur automobile français avait pour slogan “le poids voilà l’ennemi” . Pour les platines tourne disque c’est exactement le contraire. Pour lutter contre l’effet de cloche que produit nécessairement un plateau de tourne disque, il n’existe pas d’autre solution que d’en accroitre la masse et le poids. Dans l’absolu, un plateau épais de plusieurs mètres et lourd de plusieurs tonnes serait l’idéal. La platine Magnum a pour ambition de tendre vers cet idéal. Le plateau de 500 mm de diamètre et 120mm d’épaisseur est usiné dans la masse en aluminium AU4G. Il pèse à lui seul 60 Kgs. Bien entendu, ce poid considérable impose des solutions inédites. Le plateau repose sur un socle en granit de 105 Kgs qui lui même repose sur un meuble abritant les suspensions. La principale difficulté de cette réalisation réside dans le fait que les solutions retenues sur mes autres platines (la répulsion magnétique sur “la platine”, le bain d’huile sur la “nouvelle platine”) sont ici inopérantes en raison du poids du plateau. Il a donc fallu imaginer autre chose. La solution retenue consiste à injecter de l’huile sous pression par le centre de l’axe jusqu’au sommet du plateau. L’huile forme ainsi un bain d’huile de 5mm d’épaisseur constamment renouvelé et sur lequel repose tout le poids du plateau. De nombreux essais étalés sur plusieurs années ont été nécessaires avant de parvenir à une solution satisfaisante. Desormais tout fonctionne parfaitement et la Platine Magnum est disponible sur commande spéciale. Avec cette solution, il n’y a pratiquement plus de limite au poids du plateau. Sans même toucher au diamètre de l’axe qui est de 30mm, faire fonctionner une platine avec un plateau de 1 tonne est parfaitement envisageable techniquement (en terme de viabilité commerciale c’est autre chose).
Vous avez conçu plusieurs platines que vous offrez sous le nom Verdier, mais jamais de bras de lecture. Est-ce un domaine qui ne vous intéresse pas? Ou y-a-t’il d’autres raisons?
Puisque nous en sommes venus a parler des bras de lecture, nous remarquons sur votre site internet mais aussi sur beaucoup d’autres que les utilisateurs de platines Verdier de par le monde semblent préférer les bras «anciens» SME 3009/3012 et les cellules Ortofon SPU ou Denon 103. Vous ne proposez pas de bras avec vos platines. Toutefois il semble que les mariages ci-dessus soit préférés des mélomanes du monde entier. Comment expliquez-vous ce phénomène? Bien entendu je pourrai parfaitement réaliser pour les Platines Verdier un bras de lecture spécifique et prétendre, comme d’autres, qu’il est le meilleur du monde. La vérité est que je ne suis pas spécialiste de la question même si j’ai autrefois élaboré les bras ERA. Je laisse donc cet aspect à des personnes plus compétentes. Ceci dit, j’exerce dans ce domaine un rôle de conseil très actif auprès des acheteurs de Platines Verdier. Ce n’est pas tout à fait un hasard si j’ai choisi de livrer toutes mes platines avec un support pré-percé pour bras SME. Les séries 3009-3012, bien qu’anciennes, sont à mon sens inégalées. Je réalise toutefois actuellement des essais avec un bras EMT, refabriqué depuis peu, qui semble très prometteur.
Vous êtes l’un des pionniers de l’analogue. Quels sont à votre avis les points techniques le plus importants qui apportent la fidélité à la platine?
Les divers composants d’une platine sont souvent sujets de controverse parmi les fabricants mais aussi parmi les audiophiles. Certains pensent qu’une vitesse stable est primordiale, d’autres pensent que c’est l’élimination des vibrations qui tient le rôle majeur, d’autres préconisent les bras de lecture ou même les cellules. Quel est à votre avis l’ordre des composants par ordre décroissant d’importance sonore? Régularité de la vitesse par la présence d’un plateau à grande inertie, absence de bruit généré par le système de rotation, grande rigidité du chassis et de la liaison entre le plateau et les supports de bras. Il n’y a pas d’ordre d’importance entre ces points, en négliger un seul affecte irrémédiablement les performances du produit.
Il n’y a pas beaucoup d’accessoires à ajouter a La Platine Verdier alors que plusieurs marques fabriquent beaucoup de petits «tweaks» pour améliorer le son. Vous proposez sur votre site le Gyrasacope de Lys Electronique mais aussi un mat à base de plomb. Il ya aussi certains accessoires proposés par la firme GTA en Angleterre, dont des modifications pour le moteur mais plusieurs ne sont que d’apport cosmétique. Comment expliquez-vous cela?
Les Platines Verdier sont des produits finalisés et il sont excellents comme ils sont. Y ajouter quelque chose n’apporterait rien en terme de qualité de reproduction sonore et je ne fais pas parti de ces hommes de marketing qui hantent le marché de la Hifi et sont près à tout pour “faire du chiffre”
Une autre question d’ordre cosmétique. Tous vos produits portent votre marque J. C. Verdier en caractères gothiques. Il n’y a que vos platines qui ne portent pas de marque… Pourquoi?
La Platine Verdier est fabriquée depuis plus de 25 ans et elle est visuellement parfaitement identifiable par toutes les personnes qui sont susceptibles de s’y intéresser. Rajouter une plaque constructeur n’apporterait rien de plus, d’ailleurs aucun client ne me l’a jamais demandé.
Nous avons beaucoup parlé d’analogue, mais nous savons que cela a beaucoup d’importance pour vous, mais aussi pour beaucoup de nos lecteurs. Toutefois le vinyle, malgré son renouveau, est bien loin derrière le digital. Aujourd’hui il n’y a qu’une petite partie de nouveaux disques qui sont pressés en analogue. L’amateur de musique nouvelle est forcé d’écouter des CD’s (n’entrons pas dans les polémiques de SACD, DVD-A ou autres) Le CD aussi n’est plus très jeune et a fait ses preuves, certains pensent qu’il est même arrivé a maturité. Qu’en pensez-vous? Nos lecteurs peuvent-ils espérer un lecteur CD Verdier?
Un lecteur de CD Verdier, c’est peu probable. Comprenez moi bien, il ne s’agit pas de rejeter en bloc l’apport de cette technologie -d’ailleurs j’aurais tort de me plaindre du CD, le marché des grandes platines vinyles n’est vraiment né qu’après l’apparition du CD à la fin des années 80-. Il y a vingt ans, alors que le vinyle semblait pour beaucoup voué à une mort certaine, beaucoup de petits constructeurs se sont lancés dans la construction de lecteurs de CD. Quand je dit construction, il s’agissait en fait (et il s’agit encore aujourd’hui pour certains) d’habiller avec une boite sur mesure, une connectique luxueuse et des boutons haut de gamme une mécanique et une électronique standard puisée dans les banques d’organes des constructeurs grand public japonais. Bref, tous ces lecteurs de CD n’étaient rien d’autre que de purs produits marketing vendus à prix d’or, de la “poudre aux yeux”. Quand je conçois un nouveau produit mon ambition est bien entendu que ce produit trouve sa clientèle mais elle est aussi de me faire plaisir, c’est à dire de découvrir, de tester et de mettre en application des solutions innovantes autant dans le domaine de la mécanique que dans celui de l’électronique. Concevoir de A à Z un lecteur de CD n’est pas à la portée d’une petite entreprise comme la mienne, pas plus que ce n’est à la portée de tous les autres petits constructeurs qui prétendent s’y être essayé.
Vu mon âge je n’ai pris connaissance de vos produits qu’au début des années 90. Toutefois je comprends que votre renommée a débuté avec la Maison de l’Audiophile à Paris et les travaux que vous avez concrétisés pour cette Maison. Et c’est de la que vous vous êtes propagés mondialement. Pourriez-vous nous raconter l’histoire de cette maison qui reste un mythe pour beaucoup de mélomanes Français aussi bien qu’Européens et voire mondiaux?
Mon intérêt pour les amplificateurs à tubes remonte à beaucoup plus loin que l’époque de la “Maison de L’Audiophile”. Quand j’ai fondé mon entreprise, en 1972, mon tout premier produit a été un amplificateur à tubes…mais le contexte ne s’y prétait plus et j’ai dû très rapidement me résoudre à fabriquer des amplis à transistors, avec un certain succès d’ailleurs. Le renouveau de l’ampli à tubes date de la toute fin des années 70 et il est venu du Japon. A l’époque de la fondation de la revue “l’Audiophile” par Jean Hiraga et Gérard Chrétien, le transistor régnait en maitre absolu sur le monde de la Hifi grand public. Ce type de démarche ne pouvait concerner qu’un nombre très réduit de connaisseurs. On parlait de Hifi “ésotérique” ou “d’Audiophile” pour se distinguer du commun des acheteurs de chaines haute fidélité. Dans un certain sens, c’était une forme de rebellion contre les productions des grands constructeurs, japonais pour la plupart, qui étaient en train de devenir des produits de consommation de masse. J’ai vécu de près ces phénomènes puisqu’à l’époque je possedais un magasin où je vendais des chaines japonaises.
Tout le monde alors voulait une chaine Hifi comme aujourd’hui tout le monde veut un home cinéma ou un écran plat. En dehors des questions d’ordre technique, la renaissance des amplis à tubes, comme la création de “grandes” platines restaurait une forme d’élitisme sur un marché fortement démocratisé. Il est curieux de remarquer que le marché de la Hifi grand public a aujourd’hui pratiquement disparu (on ne peut pas parler de Hifi à propos des micro-chaines de supermarché). Il n’existe plus de produits Hifi autres que des produits labélisés “audiophile” fabriqués par des petits constructeurs et vendus dans des officines spécialisées. A l’époque de la Maison de l’Audiophile et de la revue “l’Audiophile”, je ne construisais pas d’amplis à tubes mais seulement mes premières platines à suspension par répulsion magnétique. La construction du premier prototype a fait l’objet de trois articles dans cette revue mais je ne songeais pas alors à une éventuelle suite commerciale. Devant l’engouement suscité par ces articles, j’ai lancé une première série de 10 pièces dont la commercialisation a été en partie assurée par la Maison de l’Audiophile…on sait la suite puisque cette même platine, avec seulement quelques changements mineurs, est toujours commercialisée aujourd’hui. Pour ce qui est des amplis à tubes, j’ai recommencé à en faire seulement beaucoup plus tard, en 1988. Mais à cette époque, la Maison de l’Audiophile n’était plus partie prenante.
Auriez-vous quelques conseils à donner aux jeunes qui veulent débuter dans ce secteur en Turquie?
C’est un métier très différent de ce que les amateurs de Hifi imaginent. En général les amateurs qui se lancent perdent rapidement beaucoup d’argent. Le meilleur moyen de forcer la porte de ce milieu est de trouver un emploi dans une société déjà reconnue afin d’apprendre les ficelles du métier.
Aujourd’hui tout le monde est d’accord sur le fait que vous êtes l’un des pionniers vivants de la Renaissance du design des amplis SET. Vous présentez ces amplis sous le nom Triode Spirit. Comment est née cette famille d’électroniques?
Les amplis mono-triode sont légion de par le monde mais seulement un faible proportion sont intelligement étudiés. Dans un ampli mono-triode, il faut que l’environnement des triodes soit parfait : Une alimentation stabilisée, des transformateurs de sortie de haute qualité, un chauffage des filaments en courant continu pour éviter les ronflements. J’ai ajouté à ces critères un étage d’entrée dépourvu de distorsion permettant à la richesse harmonique de la triode de sortie de s’exercer librement, d’ou le nom “triode spirit”.
Je remarque que très souvent vous employez des lampes «insolites» dans vos designs de schémas toujours innovateurs . Vous associez une paire de 6550 (peut-être la lampe la plus employée par les fabricants d’amplis Américains) aux 845. Et sur mon 2A3 vous employez des lampes anciennement usitées sur des téléviseurs. Quelle en est la raison?
Ces lampes n’ont rien d’insolite, ce sont simplement celles qui conviennent techniquement pour obtenir le résultat escompté.
Vous vous tenez à l’écart des modes. Il semble qu’il n’y a pas d’ordre du jour pour vous. Depuis le jour que j’ai pris connaissance de vos produit, le seul nouveau modèle que vous ayez proposé est le 300B De Luxe, faisant lui aussi partie de la famille Triode Spirit. Je comprends que ce n’est pas seulement un nouveau châssis mais surtout une approche nouvelle pour combattre le niveau de «hum» comme vous l’expliquez brièvement sur votre site internet. J’ai hâte de pouvoir écouter cette nouvelle création qui devrait arriver en Turquie dans quelque temps. Voudriez-vous nous donner plus de précisions su ce nouveau design?
De nouveaux produits sont en préparation, en particulier un amplificateur et un préamplificateur…mais pour l’instant silence, il faudra patienter un peu.
Nous comprenons que vous avez arrêté de produire vos anciens modèles. Il y a des différences de fabrication, des différences techniques et des différences cosmétiques entre vos anciens et nouveaux modèles. Nous comprenons que vous êtes prêts a les re-produire en cas de demande suffisante. Voudriez-vous élaborer?
Tous mes anciens produits sont disponibles pour une quantité minimum de 10 pièces. La société est certes mondialisée mais chaque marché national conserve ses spécificités. Il m’est arrivé plusieurs fois de reprendre la fabrication d’anciennes séries pour un marché particulier. Bien entendu, commander 10 pièces n’est pas à la portée de l’amateur, c’est l’affaire des importateurs nationaux de mes produits.
Une question qui m’est souvent posée et dont je devine la réponse, mais que je vous pose quand même pour en faire bénéficier les lecteurs de notre nouveau magazine Stereo Mecmuasi est la suivante: Pourquoi n’avez-vous pas continué ou adapté la ligne esthétique de vos anciennes créations à vos nouvelles? La considération esthétique semble être primordiale en termes de marketing pour beaucoup de créateurs d’amplis. Vous semblez préférer toutefois rester à l’écart et nos lecteurs aimeront en connaitre les raisons…
Dans les années 80, les amplificateurs à tube etaient destinés exclusivement à une petite élite de grand mélomanes, dont beaucoup étaient aussi des techniciens capables de comprendre “comment ça fonctionne”. L’aspect esthétique des appareils avait finalement assez peu d’importance à leurs yeux. A quelques détails près, tous les amplis de cette époque ressemblent beaucoup à ceux des années 50 et 60, des chassis aux formes simples dont dépassent des lampes et des transformateurs. Et puis le marché s’est élargi et le design s’est mis de la partie en même temps que les stratégies marketing. Je suis l’un des rares, pas le seul néanmoins, à maintenir cette tradition de simplicité. En bref, mes produits s’adressent à de vrais amateurs de musique et non à des personnes qui achètent des produits Hifi pour afficher leur réussite sociale. Je me refuse obstinément à toute démagogie. Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’une finition très élaborée coute cher, qu’il est difficile voire impossible de concilier un “look d’enfer” et un prix de vente acceptable sans rogner par ailleurs sur les autres qualités du produit et en particulier sur l’essentiel. Sur la gamme d’amplis “triode spirit” je propose en option des finitions plus élaborées : chassis en inox poli (versions “black shadow”), chassis en aluminium anodisé bronze (versions “luxe”). Evidemment le prix s’en ressent mais au moins le client peut-il faire son choix en connaissance de cause.
Toutes vos créations sont généralement, du moins visuellement, d’une sobriété exemplaire. Sauf une, le préamplificateur MM-MC. Quelle est la raison d’être d’une telle électronique? Et qu’est-ce qui vous a incité à le créer?
Le MM/MC, au même titre que la “Platine Magnum” est une vitrine technologique de mon savoir faire. Il est produit en petite quantité et uniquement sur commande spéciale. J’ai été amené à habiller ce produit de façon plus en phase avec son prix de vente. C’est en quelque sorte un modèle de ma compétence en matière de belle électronique.
Encore une question dont je devine la réponse mais qui sera importante pour nos lecteurs. Beaucoup de fabricants d’électronique de nos jours affichent clairement les marques des composants qu’ils utilisent: connecteurs, potentiomètres, résisteurs, capaciteurs, transfos etc. Vous adoptez une attitude différente. Quel que soit le prix de l’électronique, vous employez parfois les mêmes composants et n’en déclarez pas l’origine. Quelles en sont les raisons?
Les composants de facture industrielle sont toujours très bien fabriqués, en fonction des exigeances d’utilisateurs industriels et militaires. Les composants de marque spécifique Hifi ne sont pas forcément aussi bons ou fiables mais obéissent à des nécessités marketing. Celà pratique de la démagogie générale dans le milieu Hifi. Je m’amuse de cette situation et laisse les personnes sensibles à ce genre d’arguments en supporter les conséquences, le plus souvent désagréables.
Monsieur Verdier, passons maintenant aux lampes. Je comprends que vous en avez la passion. Comment avez-vous commencé? Et pourquoi les lampes? Quels en sont les avantages mais aussi les inconvénients?
Effectivement je suis passionné par les lampes et la passion ne connait pas la raison. Ceci dit, j’ai fabriqué beaucoup plus d’amplificateurs à semi-conducteurs dans les années 60 et 70 que je ne fabriquerai jamais d’amplis à lampes. Si j’en suis revenu aux lampes -commercialement parlant – c’est parce qu’il est redevenu possible de les commercialiser avec succès alors que les amplis à transistors sont devenus très difficiles à vendre sur les marchés mondiaux. Cette situation me convient parfaitement car je le répète, ma passion ne connait pas la raison.
Aujourd’hui certaine lampes dites NOS s’échangent à des prix considérables. Poussant encore plus des matched paires ou matched quartets se vendent encore plus cher… Qu’en pensez-vous?
C’est parfois le prix de la rareté, comme pour les anciennes 300B Western Electric…mais c’est aussi souvent le fruit de la méconnaissance des acheteurs. Il y a beaucoup d’aberrations dans ce domaine.
Sur votre site vous avez votre musée de la radio qui est pour certains un paradis. Comment a débuté cette passion pour le TSF, la Radio? Est-ce uniquement une collection privée ou bien est-elle ouverte au public?
J’ai commencé à acheter des anciennes radios au début des années 70. A l’époque celà n’intéressait personne et j’ai pu me constituer une collection facilement. Mon fils a pris le relais dans les années 80 et la collection a rapidement pris une ampleur assez considérable. Un étage entier de ma maison est maintenant consacré à cette collection, il s’agit d’une sorte de musée privé où les vrais amateurs sont les bienvenus mais qui n’est pas ouvert au public. La plupart des pièces intéressantes sont toutefois visibles sur mon site internet. Le coeur de la collection est constitué d’appareils fabriqués, pour la plupart en France, entre 1920 et 1930, c’est à dire au début de la radio-diffusion. Mais je suis également très fier de posséder quelques vraies pièces de musée, tels les récepteurs à cohéreurs de Branly des toutes premières années du 20 ème siècle, des appareils contemporains des premières expériences de Télégraphie sans Fil de Marconi. Depuis quelques années, j’ai enrichi la collection avec des amplificateurs à lampes des années 50/60…je commence à avoir une petite collection d’amplis Mc Intosh assez sympatique.
Une autre question qui m’intéresse à titre personnel. Votre marque, votre nom est en caractères Gothiques. Mis-à-part la beauté calligraphique vous inspirez vous de l’architecture Gothique ou même des beaux arts en général? La raison pour laquelle je vous pose cette question est qu’il me semble qu’il y a une liaison directe entre le pourquoi et la solution finale que vous proposez dans vos créations. Est-il de même pour la calligraphie gothique?
J’ai longtemps révé devant les amplis Mc Intosh de la grande époque, jusqu’à parfois adapter les schémas de ces appareils mythiques à mes propres fabrications. Il faut voir dans cette calligraphie une sorte d’hommage.
La présentation de votre société sur votre site montre bien qu’il s’agit d’un laboratoire. Pourriez-vous nous décrire votre schéma de production. Je comprends qu’Eric, votre fils, est un maillon important de votre société mais aussi de votre production. Quels sont les avantages et inconvénients d’être une société familiale?
Mon entreprise a commencé petit et est toujours restée de dimensions modestes. Ce n’est pas une société, j’ai un statut d’artisan. L’expérience aidant, je pense que j’ai fait le bon choix. A peu près tous constructeurs de Hifi que j’ai connu en France sont morts d’avoir trop grossi. Depuis plus de quarante ans que je le fréquente intimement, le marché de la Hifi à toujours été quelque chose d’éminement mouvant. Il y a eu la révolution des transistors dans les années 60, la déferlante des produits japonais dans les années 70, la nouvelle vague du High End dans les années 80, la soit-disant mort puis le retour du vinyl dans les années 90. Aujourd’hui un tsunami s’annonce avec les nouveaux amplificateurs à tubes chinois à moins de 500 Euros. Ils ne sont pas encore très bons mais qu’en sera t’il dans deux ou trois ans. Plus une entreprise est importante moins elle est en mesure de surfer sur la vague, c’est à dire de s’adapter rapidement aux déplacements du marché. La lourdeur des investissements, la dilution des responsabilités, tout cela a rapidement raison des sociètés apparemment les mieux implantées face à un marché en perpétuelle mutation. En France, cela a eu raison d’ERA bien sur mais aussi de tous ses contemporains. Je construis du matériel Hifi sous mon nom depuis 1972 et je crois bien que je suis depuis déjà longtemps le doyen des constructeurs français.
Aujourd’hui vos créations sont employées aux quatre coins du monde. Comment avez-vous pu en arriver la?
C’est le résultat agréable de la mondialisation. Les moyens de communication modernes permettent cela et j’ai su saisir cette chance au bon moment.
Voudriez-vous un peu parler de-vous-même? Que faites-vous quand vous n’êtes pas à votre table de design ou préoccupé par la production? Qui est Monsieur Verdier?
Le matériel Hifi c’est bien en soi…mais ça sert surtout à écouter de la musique, classique pour ma part. Il me faut ma dose, au moins 2 heures par jour…enfin surtout le soir avant de me coucher. Des vinyles bien entendu. J’ai aussi quelques voitures anciennes mais l’âge venant je m’y intéresse moins. Si je n’avais pas fait carrière dans la Hifi, je me serais bien vu constructeur (et concepteur) automobile.
Nous vous remercions infiniment de nous voir accordé votre temps précieux.
Hakan Cezayirli
Stereo Mecmuası 2008
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